Maison Pic : un manifeste en couleurs
À Bergerac, en bord de Dordogne, nichée au cœur d’une parcelle étroite qui s’étire vers le fleuve, se cache une maison comme on n’en voit plus : la Maison Pic. Érigée au début des années 1950 par l’architecte George Lacaze et l’architecte d’intérieur René Fray. Elle ne se dévoile pas d’un seul regard, mais se laisse apprivoiser, lentement, comme un récit qu’on lirait à voix basse.
@ Suzie Donnat
Dès l’entrée, une impression étrange nous saisit. Un volume suspendu, presque en lévitation, libère une percée visuelle vers le paysage : la Dordogne glisse en contrebas, au travers du socle évidé. Ce monolithe coloré, posé sur pilotis noirs noyés dans la végétation, semble flotter. Déjà, quelque chose cloche, ou plutôt : quelque chose éveille.
Un vitrail éclatant capte la lumière, un garde-corps bleu magenta dialogue avec les feuillages alentour, les poteaux se fondent dans l’ombre. On avance, intrigué, happé par une large ouverture vitrée qui s’étire au premier étage : la maison s’ouvre à nous.
@ Suzie Donnat
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Sur près de 11 mètres de long, une pièce de vie en enfilade déroule sa transparence, traversée par la lumière et cadrée par la rivière. Un terrazzo d’origine au sol, une grande bibliothèque gainée de tissu à motifs, un poêle sculptural comme échappé d’un décor de cinéma : ici, chaque détail semble avoir été posé avec l’intuition d’un architecte-artisan.
La salle à manger prolonge cette expérience sensorielle : un plafond tendu de motifs, de longs placards tapissés, un balcon suspendu en mosaïque bleu turquoise, écho chromatique à l’entrée. L’ensemble évoque les intérieurs feutrés des années 50, avec cette capacité rare à conjuguer exubérance et précision.
Une porte presque invisible s’ouvre sur un bar en Formica, ses bouteilles encore recouvertes de poussière ; l’antichambre parfaite avant de pénétrer la cuisine, elle aussi en Formica bleu, sur fond de mosaïque soulignée d’un liseré rouge. Le sol devient tableau. Le temps s’arrête.
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Tout au long de la visite, les sens sont convoqués : jeux de textures, de miroirs, de moquettes murales et de carreaux à motifs. Les pavés de verre filtrent la lumière. L’éclairage indirect devient scénographie. Une mosaïque rose, puis jaune, puis noire, nous accompagne comme un fil chromatique à travers les espaces. Chaque pièce est pensée comme un décor, un monde à part.
La suite parentale s’ouvre sur la terrasse plein sud, face au jardin et au ciel. Ici, les années 30 croisent les années 50, le modernisme flirte avec l’art déco. Miroirs dansants, salle de bains théâtrale, dressing ornementé : cette chambre n’est pas une simple pièce, c’est un manifeste. Un lieu de cinéma, d’écriture, de contemplation. Dans un monde où la couleur s’éteint, ici elle renaît avec audace.
@ Suzie Donnat
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Tout est cohérent, tout est vibrant. La Maison Pic est une œuvre habitée, un manifeste de liberté. Elle devance son époque avec une assurance folle. Une leçon d’architecture : chaque espace y est une expérience autonome, mais pensée en continuité. Le regard y est guidé, mais jamais contraint. L’émotion est constante.
@ Suzie Donnat
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La visite s’achève par un escalier majestueux, enveloppé d’un mur en pavés de verre. On descend avec le sentiment d’avoir traversé un rêve.
Et puis, la surprise finale : une pièce vitrée, sans montants, ouvert sur la verdure, abrite une piscine à la forme libre, tapissée de mosaïques bleues, rouges, noires. Une fresque de huit mètres orne le mur, écho aux géométries intérieures. Ici, le geste architectural devient presque pictural. On pense à Gaudí, à Sottsass, à un modernisme joyeux et débridé. On rêve de s’y plonger.
On imagine les soirées dans les années 60, les amis invités, les rires sur la terrasse, l’étonnement face à tant de liberté formelle. Et l’on se dit que cette maison, aujourd’hui, fait toujours cet effet. Elle étonne. Elle émeut. Elle inspire.
@ Suzie Donnat
@ Suzie donnât
La Maison Pic n’est pas seulement à vendre. Elle est à transmettre. C’est une maison manifeste, vivante, faite pour rêver, créer, raconter. Dans un monde de plus en plus lisse et aseptisé, elle nous rappelle que l’architecture peut être un geste d’art, un acte de joie, une forme de résistance.
@ Suzie Donnat